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- October, 2025
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Dans un monde du travail en constante mutation, la reconversion professionnelle s’impose comme un enjeu majeur pour de nombreux salariés. Entre envie de changement, nécessité économique et quête de sens, de plus en plus d’actifs envisagent de changer de métier ou de secteur. Pourtant, malgré les dispositifs existants et les ambitions affichées par les pouvoirs publics, la réalité de ces parcours est souvent plus complexe qu’il n’y paraît. C’est ce que révèle l’ouvrage collectif La Formation continue au service des reconversions ?, dirigé par trois universitaires – Emmanuel de Lescure, Nicolas Divert et Fabienne Maillard – et publié aux Presses Universitaires de Rennes.
À travers une série d’enquêtes de terrain, les chercheurs y explorent les réussites et les limites de la formation continue comme levier de transition professionnelle. Leur constat est nuancé : si la formation constitue une étape incontournable pour réinventer sa carrière, elle ne garantit pas toujours une véritable mobilité sociale ni une stabilité retrouvée.
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Une envie de reconversion de plus en plus forte
Les chiffres en témoignent : selon le Centre pour le développement de l’information sur la formation permanente (Centre Inffo), 21 % des actifs déclaraient en 2022 être « en train de préparer une reconversion », tandis que 26 % affirmaient « l’envisager ». Ces données confirment une tendance lourde : le désir de changement est devenu une réalité pour près d’un actif sur deux.
Cette évolution s’explique par plusieurs facteurs : l’automatisation, la transformation numérique, les crises économiques successives ou encore la quête de mieux-être au travail. Les salariés aspirent à des métiers plus épanouissants, plus alignés avec leurs valeurs ou offrant de meilleures conditions de vie.
Pour accompagner ces aspirations, l’État français a multiplié les outils et dispositifs : bilan de compétences, Compte Personnel de Formation (CPF), projets de transition professionnelle, ou encore validation des acquis de l’expérience (VAE). Ces mécanismes, inspirés de la loi de 2018 sur la « liberté de choisir son avenir professionnel », visent à redonner aux travailleurs la maîtrise de leur parcours. En théorie, ils devraient permettre à chacun de devenir acteur de sa carrière. En pratique, la situation est plus nuancée.
Des aspirations fortes, mais une réalité contrastée
L’ouvrage dirigé par Lescure, Divert et Maillard ne se contente pas d’analyser les chiffres : il plonge au cœur des parcours de reconversion. Les chercheurs ont suivi divers profils – des salariés de l’industrie automobile apprenant le code informatique, des assistantes maternelles cherchant à valider un CAP via la VAE, ou encore des militants syndicaux retournant à l’université.
À travers ces portraits, le livre met en lumière la diversité des trajectoires et la complexité des obstacles rencontrés. Si la motivation est souvent forte, la réussite d’une reconversion dépend de nombreux paramètres : conditions sociales et familiales, niveau de qualification initial, accès à l’information, ou encore soutien financier et institutionnel.
Les auteurs montrent ainsi que les liens entre aspiration au changement et mobilité professionnelle effective restent souvent fragiles. Le rêve de reconversion se heurte fréquemment à la réalité économique, au manque de débouchés, ou à des formations mal adaptées aux besoins du marché.
Les freins invisibles à la reconversion
Comme le souligne la sociologue Catherine Agulhon, citée dans l’ouvrage, « la finalisation du parcours est loin d’être certaine pour tous les impétrants ». Beaucoup entament une formation dans l’espoir d’un nouveau départ, mais peu parviennent à concrétiser leur projet. Parmi les 32 travailleurs ayant suivi une formation en codage informatique étudiés par les chercheurs, seuls 7 ont effectivement réussi à s’insérer dans le secteur du numérique.
Ces chiffres rappellent que la formation ne suffit pas toujours à garantir une nouvelle carrière. Les freins sont multiples : difficultés financières, isolement, manque de réseau, obstacles administratifs ou encore inadéquation entre les formations et les besoins des entreprises.
De nombreux salariés se retrouvent donc dans une situation paradoxale : formés, mais toujours sans débouchés concrets. D’autres abandonnent leur projet en cours de route, faute de moyens ou de perspectives claires. Cette réalité met en lumière une faille structurelle : si la formation continue est un pilier essentiel de l’évolution professionnelle, elle ne peut à elle seule compenser les déséquilibres du marché du travail.
La formation continue, entre idéal et réalité
L’étude souligne également la dimension symbolique de la formation. Elle représente un espoir de renaissance professionnelle, un moyen de reprendre confiance en soi et de redonner du sens à sa carrière. Pour beaucoup de travailleurs, s’inscrire dans une démarche de formation, c’est aussi affirmer leur volonté de progresser, de s’adapter et de ne pas subir les changements économiques.
Mais ce parcours exige un véritable accompagnement. Sans encadrement personnalisé, sans lien fort entre organismes de formation, entreprises et institutions publiques, le risque est grand que la reconversion reste une illusion. Les chercheurs plaident ainsi pour une meilleure articulation entre les dispositifs de formation et les besoins concrets du marché du travail.
Ils insistent aussi sur la nécessité de renforcer les politiques d’orientation et d’information des actifs, afin que chacun puisse faire des choix éclairés. Trop souvent, les travailleurs s’engagent dans une formation sans en mesurer la pertinence ni les débouchés réels.

Vers une refondation de la formation tout au long de la vie
Au-delà des constats, l’ouvrage invite à repenser le rôle de la formation continue. Dans une économie marquée par la transition écologique, le numérique et les mutations industrielles, il devient impératif de concevoir la formation tout au long de la vie comme un droit universel et accessible à tous.
Cela suppose d’impliquer davantage les entreprises, de favoriser les passerelles entre métiers, et d’adapter les contenus pédagogiques aux réalités des territoires. La formation doit cesser d’être perçue comme un simple outil individuel de reconversion pour devenir un véritable levier collectif d’adaptation aux transformations économiques.
En conclusion
L’étude menée par Emmanuel de Lescure, Nicolas Divert et Fabienne Maillard rappelle que si la formation continue demeure un formidable outil d’émancipation et d’évolution professionnelle, elle ne peut être efficace que si elle s’inscrit dans une politique globale d’accompagnement, d’insertion et de reconnaissance des compétences.
La reconversion professionnelle ne se décrète pas : elle se construit, pas à pas, à la croisée des aspirations individuelles et des réalités sociales. Et pour que cette construction soit durable, la formation doit devenir un pont solide entre le désir de changement et l’emploi réel, plutôt qu’un simple rêve de seconde chance.