Recent Posts
- October, 2025
La Langue des Signes Française : cette compétence stratégique qui attend toujours sa place dans les entreprises
Le CPF et l’abondement patronal : le grand écart entre les promesses et la réalité
Enseignement de la conduite : une filière qui s’engage pour l’environnement
Le CPF en quête de second souffle : la dotation volontaire, un levier stratégique sous-exploité
- September, 2025
Cybersécurité : 5 formations incontournables pour apprendre les fondamentaux
Le CPF et l’abondement patronal : le grand écart entre les promesses et la réalité

Lancée en 2018 par la ministre du Travail Muriel Pénicaud, la réforme du Compte Personnel de Formation (CPF) devait marquer une révolution dans l’accès à la formation professionnelle. L’une de ses innovations majeures était le passage d’une logique d’heures à une logique financière (les euros), présentée comme un levier pour encourager les employeurs à participer activement à la formation de leurs salariés. L’idée était séduisante : en permettant aux entreprises d’abonder volontairement le CPF de leurs employés, on créerait un mécanisme vertueux de co-investissement dans les compétences. Près de sept ans plus tard, un constat s’impose : cette promesse est largement restée lettre morte. Les patrons, dans leur grande majorité, se cantonnent au strict minimum légal, laissant un dispositif ambitieux en état de sous-exploitation chronique.
Contents
Le mirage de l’abondement volontaire : des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
Les données récentes, issues d’études sérieuses comme celles du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), sont sans équivoque. Le recours à la dotation volontaire est marginal, voire anecdotique. Seules 2,3% des entreprises de plus de 10 salariés y ont eu recours depuis son instauration. Un chiffre qui tombe à une entreprise sur 1 000 pour la période 2020-2023 si l’on en croit la Caisse des Dépôts, gestionnaire du dispositif.
Ce bilan contraste amèrement avec le discours enthousiaste qui a accompagné la réforme. On nous promettait un nouvel élan, une dynamique de partage des responsabilités entre l’État, les salariés et les entreprises. Force est de constater que la machine est grippée. L’abondement patronal, présenté comme un pilier de la transformation du système, ressemble davantage aujourd’hui à une option accessoire, utilisée par une infime minorité d’employeurs. Le compte n’y est pas.
Pourquoi un tel fiasco ? Les racines d’une promesse non tenue
Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer cet échec retentissant de la politique volontariste promise.
1. Un manque criant d’incitations réelles
La réforme a créé la possibilité d’abonder, mais sans véritables incitations financières ou fiscales fortes pour pousser les entreprises à sauter le pas. Se contenter d’ouvrir une option, sans en faciliter l’accès ou en réduire le coût perçu, relevait d’un angélisme certain. Pour une PME ou une TPE aux finances serrées, la dotation volontaire reste une dépense discrétionnaire, souvent la première à être sacrifiée sur l’autel de la rentabilité à court terme.
2. Une complexité administrative dissuasive
Le monde de la formation professionnelle est notoirement complexe. Entre les Opco (Opérateurs de Compétences), les financements possibles, les règles d’éligibilité, les entreprises, surtout les plus petites, se perdent. Ajouter une nouvelle couche procédurale, même avec les meilleures intentions, a sans doute découragé de nombreux chefs d’entreprise qui manquent de temps et de ressources humaines dédiées.

3. Une méconnaissance généralisée du dispositif
Comment utiliser un outil dont on ignore l’existence ou le fonctionnement ? Près de 71% des entreprises invoquent le manque d’information comme principal frein. La communication autour de l’abondement volontaire est restée confidentielle, noyée dans la complexité globale du CPF. Le résultat est que de nombreux employeurs et salariés ignorent tout simplement cette possibilité.
4. Une culture d’entreprise frileuse
Dans de nombreuses structures, la formation est encore perçue comme une contrainte légale (le fameux plan de développement des compétences) plutôt que comme un investissement stratégique. La logique de l’abondement volontaire, qui suppose une vision partenariale et de long terme avec le salarié, peine à percer face à une tradition plus hiérarchique et descendante de la gestion des carrières.
Les gagnants et les perdants : un système qui reproduit les inégalités
Comme souvent, ce sont les mieux lotis qui profitent de ce qui fonctionne. L’étude du Céreq le confirme : les entreprises qui utilisent le plus la dotation volontaire sont les grandes structures (banque, assurance, grande industrie) qui ont déjà une culture de la formation bien établie. Ce sont aussi, dans ces entreprises, les cadres qui en bénéficient prioritairement.
A l’inverse, les salariés des PME, ceux des secteurs moins formels, les moins qualifiés, ceux qui auraient le plus besoin d’un coup de pouce pour sécuriser leur parcours, sont les grands oubliés de ce système. La promesse d’une formation plus accessible et co-construite se brise ainsi sur les réalités socio-économiques, creusant un peu plus le fossé des inégalités d’accès à la qualification.
Conclusion : Une trahison des ambitions initiales ?
Au final, le bilan est sévère. La promesse d’un abondement patronal dynamique, capable de transformer le paysage de la formation, s’apparente à un mirage. Les faits sont têtus : les patrons ne se sont pas rués sur le dispositif. On est loin du “sursaut” annoncé.
Cette situation pose une question fondamentale : peut-on vraiment compter sur le volontariat des entreprises pour assurer le développement des compétences de tous ? L’échec de l’abondement volontaire suggère que non. Il relance le débat sur la nécessité d’obligations plus contraignantes ou d’incitations bien plus attractives.
La réforme du CPF en euros avait des ambitions louables. Mais en misant autant sur un mécanisme aussi peu incitatif, elle a peut-être sacrifié l’efficacité sur l’autel de l’idéologie. Les salariés, eux, attendent toujours que les promesses se transforment en réalités tangibles. L’arnaque, finalement, n’est peut-être pas dans le dispositif lui-même, mais dans le fossé abyssal entre le discours politique et la réalité du terrain. Sans une refonte courageuse des incitations et une simplification drastique, la dotation volontaire restera une coquille vide, un symbole de plus des occasions manquées en matière de formation professionnelle.