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La détention corporative d’une police d’assurance vie : l’impact de l’arrêt Gestion M.-A. Roy c. Le Roi

Contents
L’arrêt Gestion M.-A. Roy et 4452512 Canada inc. c. Le Roi (2024 CAF 16) clarifie les enjeux fiscaux liés à la détention corporative d’une police d’assurance vie lorsque différentes sociétés d’un même groupe agissent comme titulaire, payeur des primes et bénéficiaire. La Cour canadienne de l’impôt (CCI) et la Cour d’appel fédérale (CAF) ont statué que les primes payées par une société opérationnelle (Opco) au profit de sociétés de gestion (Gesco) pouvaient constituer un avantage imposable en vertu des paragraphes 15(1) et 246(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.I.R.).
Cette décision a des répercussions majeures pour les entreprises utilisant l’assurance vie comme outil de planification successorale ou de financement d’accords d’achat-vente.
Contexte et faits de l’affaire
Structure corporative et polices d’assurance
- 1996 : M. Roy fonde Opco, une société de conseil en technologie, détenue majoritairement par Gesco 1 (dont M. Roy est l’actionnaire principal).
- 1998 : Opco souscrit une assurance vie temporaire sur M. Roy, se désignant comme bénéficiaire.
- 2004 : La police est convertie en assurance vie entière et transférée à Gesco 1, mais Opco reste bénéficiaire révocable et continue de payer les primes.
- 2011 : Une restructuration mène à la création de Gesco 2, détentrice de nouvelles polices (15 M$), avec R3DI (filiale étrangère) comme bénéficiaire. Opco paie toutes les primes sans remboursement.
- 2019 : Les actifs d’Opco et R3DI sont vendus, et les polices résiliées. Opco reçoit les valeurs de rachat.
Cotisations de l’ARC
L’Agence du revenu du Canada (ARC) a cotisé Gesco 1 et Gesco 2 pour les années 2014 à 2017, incluant dans leur revenu imposable :
- 355 128 $ pour Gesco 1 (primes de 88 782 $/an).
- 1 119 052 $ pour Gesco 2 (primes de 279 763 $/an).
L’ARC a considéré que les primes payées par Opco constituaient un avantage taxable pour les Gescos.
Analyse juridique : les paragraphes 15(1) et 246(1) L.I.R.
1. L’avantage à l’actionnaire (15(1) L.I.R.)
Le paragraphe 15(1) vise à empêcher qu’un actionnaire tire un bénéfice personnel des actifs de la société sans imposition. La CCI a retenu que :
- Opco s’est “appauvrie” en payant les primes.
- Gesco 1 s’est “enrichie” en détenant les polices sans en assumer le coût.
- L’avantage économique est clair : les primes augmentent la valeur des polices détenues par les Gescos.
2. L’avantage conféré à un contribuable (246(1) L.I.R.)
Le paragraphe 246(1) a une portée plus large et s’applique même sans lien actionnarial direct. La CAF a confirmé que :
- Gesco 2 (liée indirectement à Opco) a aussi bénéficié d’un avantage imposable.
- L’analyse est similaire à celle du 15(1), centrée sur l’enrichissement sans contrepartie.
Arguments rejetés par les tribunaux
Les contribuables invoquaient des justifications commerciales (protection contre les créanciers, flexibilité du bénéficiaire). La CCI et la CAF ont rejeté ces arguments :

- La recommandation de conseillers ne justifie pas l’exonération fiscale.
- Opco, comme bénéficiaire révocable, n’avait pas les droits du titulaire (ex. : valeur de rachat).
- L’absence de remboursement des primes par les Gescos a scellé la qualification d’avantage.
Implications et recommandations
1. Structuration des polices d’assurance
Pour éviter les cotisations :
- Éviter le fractionnement des rôles : Idéalement, une même société devrait être titulaire, payeur et bénéficiaire.
- Dividendes intersociétés : Si Opco doit financer les primes, verser un dividende à la Gesco (libre d’impôt sous certaines conditions) pour qu’elle paie elle-même les primes.
- Gesco commune : Centraliser la détention des polices dans une seule société de gestion.
2. Risques à surveiller
- Transfert de polices : Un changement de titulaire peut déclencher une disposition fiscale (par. 148(7) L.I.R.), avec gains imposables.
- Requalification des flux : Un remboursement de primes par Opco pourrait être taxable comme revenu pour la Gesco (art. 9 ou al. 12(1)x) L.I.R.).
3. Questions clés pour les conseillers
Avant de structurer une police corporative, évaluer :
- Qui paie les primes ? (Éviter qu’une Opco finance une Gesco sans contrepartie.)
- Qui détient la police ? (Limiter les risques d’avantage imposable.)
- Qui est bénéficiaire ? (Anticiper les besoins de liquidités en cas de décès.)
Conclusion
L’arrêt Gestion M.-A. Roy rappelle que l’ARC surveille de près les structures complexes d’assurance vie. Bien qu’il n’existe pas de solution universelle, une approche prudente consiste à :
- Simplifier la détention (1 société = titulaire, payeur et bénéficiaire).
- Documenter les justifications commerciales.
- Consulter des experts fiscaux avant toute restructuration.
Les professionnels doivent réviser régulièrement les polices existantes pour s’assurer de leur conformité, surtout après des réorganisations corporatives.